Devant la violence que vit la communauté afro-américaine, avec la vie ôtée, de trop, à George Floyd, par un officier de police. Une cruauté à la hauteur de l’ ignorance d’un certain nombre de personnes. Cette fois, poser un genou à terre tue. Clivant la symbolique de la prise de position de Colin Kaepernick, joueur de NFL.
Soyons clairs! Cela existe aussi en France, sous une forme plus complexée.
Parce qu’en 2010, je ne mesurai pas ma condition. Puisque je n’y étais pas vraiment confrontée, en tant qu’adulte. Enfant oui. Avant d’être noire, je suis humaine pour moi. C’est tout. Malgré le fait, qu’on m’ait fait remarqué de manière sporadique, que je n’étais que noire. C’est quoi être noire? je vous le demande.
Combien de temps allons-nous faire preuve de surdité. Face à ce déferlement de violence, dans lequel plonge le monde, face à cette abondance de mélanine.
Se rejeter pour ne pas être rejetée
Pourquoi? Parce que j’ai tout fait pour ne pas avoir à me confronter au rejet. J’ai tout fait pour “passer”, pour avoir un comportement irréprochable. j’ai tout fait pour ne pas me faire remarquer. je m’étais conditionnée à rentrer dans un moule, au risque de passer pour une tarte…au chocolat .
Mettre en avant les autres, les laisser se servir à mon buffet, sans pouvoir me nourrir un minimum. Je connais. Très bien même. Je ne me connaissais pas. Je me suis diluée. J’avais perdu mon essence.
Jusqu’à cette phrase qui me rattrape, malgré mes efforts à me faire plus petite que je ne suis, du haut de mon mètre 78.
Comment réagir avec sagesse, quand une phrase d’une telle violence nous frappe au visage? Toute mon histoire me sautait au visage. Mais aussi, toute l’histoire de ma ville natale Mulhouse.
Afrique – Alsace : blessures communes
Mon histoire, ce n’est pas celle des Malgré-elles. Ce n’est pas l’histoire de ces femmes courageuses, enrôlées de force, sous l’occupation allemande, durant la Seconde Guerre mondiale. Mes cellules ne sont pas empreintes de ces bleus à l’âme infligées à ces femmes d’Alsace et de Moselle. Non.. Mais pourtant, nos blessures sont communes. Pourtant, je me suis intéressée de près à leurs histoires, parce que quelque part, elles me parlaient.
Pourquoi? Parce que j’ai voulu comprendre, pourquoi mes parents avaient choisi l’Alsace. Pourquoi avaient-ils décidé de poser leur bagages émotionnels à Mulhouse?
Comprendre, reconnaitre pour réparer et apaiser les esprits
Et j’ai compris bien plus tard, que mon histoire, c’est l’histoire de 400 ans (quatre cents ans) d’esclavage. C’est l’histoire d’un peuple qui a été déporté, asservi, conditionné. Le corps réduit à un un outil de travail, dont les signes extérieurs de féminité pouvaient être difficilement gommés. Un corps meurtri. Un coeur meurtri. Une âme meurtrie.
Avec une résultante tiraillante : un rejet de la couleur noire, mais une attirance pour ce corps noir, aux formes jugées indécentes. Pris de force par la manipulation.
Ainsi, durant plus de 10 ans, j’ai passé des journées à observer la morphologie des corps des femmes, d’ici et d’ailleurs.
Celles des alsaciennes plus particulièrement, puisque j’y suis née. Dans ma quête de savoir qui je suis, j’ai constaté cette récurrence au niveau du buste long. Comme celui de ceux des hommes. Ce bassin incliné vers l’avant. Ces épaules basses, rentrées vers l’intérieur, déstinées à dissimuler toute forme de maternité ou de féminité. Ce corps portant le poids de son histoire non digérée, réclamant sa dignité, partageait en de nombreux points des similitudes avec l’histoire de mes ancêtres. Soyons dignes de nos histoires respectives. Changeons la donne et parlons un language audible et compréhensible pour tous.
Ce corps : une dette ou un clef ?
Je comprends que les âmes se réunissent au delà de leur corps, de part leur blessures communes, intrinsèquement liées à leur capacité, à s’affranchir de tout conditionnement. Pour retrouver leur indépendance émotionnelle, financière et territorial. Alors, que faire? Laisser l’autre libre ou se libérer soi même, pour être soi?
Qu’ aurai-je pu répondre à cette femme qui avait prononcé ces mots qui la ramenaient à sa condition? Aurai-je dû lui répondre avec la même intensité. avec la même réalité? Comme le dit si bien Nahid, une idée ne quitte jamais sa source. Cette femme parlait-elle donc d’elle-même? Etais-je simplement le reflet de ce qu’elle pensait d’elle-même? Car au fond, nous sommes toutes et tous des miroirs les uns des autres. Je suis restée sans voix, à l’époque. Mais aujourd’hui, me taire reviendrait à être complice d’un système, qui entache mon intégrité, mon authenticité.
Mon âme me demande d’écrire et de dire combien je travaille à me libérer de moi-même, car je ne veux pas être réduite à ma couleur de peau. Ma mélanine, elle me protège du soleil. J’ai dû apprendre à me protéger des paroles acerbes.
Car je ne me définis pas par ce que les autres attendent de moi. Mais vraiment par ma mission de vie qui fait vibrer mon âme. Par la beauté du coeur qui caractérise ma volonté d’occuper ma place, d’accompagner d’autre à occuper la leur. Où-est ma place, où est la votre ? Elle est partout!! Dans le respect de ce à que l’on se sent capable de prétendre. Dans le respect de soi-même et des autres. C’est une clef sur un monde inconnu ou méconnu. Notre corps renferme des messages somatisés, qu’il nous revient de décrypter pour se libérer des mémoires du passé.
Le cadeau?
Former une communauté d’êtres, où chacun(e) se sent libre d’exprimer sa vérité. Sans se sentir bailloné(e) dans son intégrité. Sans ressentir que certain(e)s soient fatigué(e)s d’entendre au travers de nos histoires, de la complainte, des stigmates de victimisations. Rappelez-vous, une idée ne quitte jamais sa source. Si nous ne pouvons pas nous sentir libre d’exprimer notre vérité et de mener une justice pour toutes et tous :
” le vivre ensemble” n’est qu’une dette boueuse. Alors qu’il pourrait être venu comme un cadeau.
Je ne revendique pas le fait d’être noire. Cela reviendrait à revendiquer mes origines alsaciennes, ou ma condition de femme. Je suis tout cela à la fois, et c’est un simple état de fait. Je n’ai pas à choisir. Mais si cette société m’oblige à le faire, c’est tout choisi.
Ma vie: c’est beaucoup de métissage forcée en moi, et de métissage choisi autour de moi. J’aime ces couleurs et je veux vivre dans un monde qui ne m’oblige pas à choisir ma palette. Et pour cela, certains schémas doivent être abolis.
J’assume ma négritude
Comme je l’ai dis, je ne revendique pas le fait d’être noire, certes, mais je souligne ma négritude. Comme l’ont magnifié Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et leurs épouses respectives.
Je pense à Rosa Parks, à Catherine Johnson, qui ont bravé la norme pour inscrire de nouveaux codes sociaux, dans le monde. Je pense aussi aux femmes de ma lignée familiale, qui ont subit des atrocités et vécu une révolte intérieure, parfois au prix de leur vie. J’ai une pensée pour Christiane Taubira, pour l’excellence de son phrasé, de ses prises de position, à défendre l’humain et lui rendre justice.
Je leurs rends hommage, car grâce à elles et eux, j’ai pu diluer les phrases assassines entendues dans mon enfance, qui se perpétue encore aujourd’hui, dans l’indifférence la plus notoire. Cette hypersexualisation ou diabolisation de la femme noire, je l’ai vécu, sans avoir su dire non à l’époque, à ces hommes blancs se sentant sur puissants de par leur posture. Je regrette de ne pas avoir eu les mots quand j’avais 20 ans, d’avoir dû m’accommodé des mains aux fesses. Des regards salaces. Des mots déplacés. Je n’étais pas armée comme aujourd’hui. Ma fille le sera.
Un enseignant instruit, un parent éduque.
Par ce directeur d’école de Chalampé, qui me répètera du CP au CM2, que “je n’ai rien dans le ciboulot”, que je ne serai même pas bonne à balayer les rues. Ce directeur qui me frappera sous le couvert de mes parents, attachés à la fausse croyance qu’un enseignant est toujours juste.
Mon crime? Etre noire dans un village et une classe ne comptant que des blancs?!. Comment s’identifier quand vos seuls interlocuteurs sont uniquement blancs. Comment se construire, quand ces mêmes adultes vous renvoient, enfant, du mépris face à votre différence. Rejetant votre capacité à réussir?
On fait de son mieux, je crois.
Il m’aura fallu de nombreuses années pour conjurer ces sortilèges lancés par ces adultes qui ne faisaient que parler d’eux, finalement. Leur cruauté était à la hauteur de leur ignorance. L’ignorance engendre la peur. Connaître son histoire pour dissiper les peurs, gagner en confiance est la clef.
L’histoire ne doit pas se répéter : il n’ a qu’une race. La race humaine
Vous comprendrez alors ma vigilance, quant aux phrases assassines que prononcent certains professeurs à l’égard de mes enfants. Car l’enfant fait pleinement confiance à l’adulte. Il prendra ce qu’il dit pour argent comptant. Alors, je veille, je conteste et renvoie à leurs responsabilités, ce que ces sachants aux pieds d’argile, veulent consciemment ou inconsiemment distiller insidieusement dans les cellules de ma progéniture.
Mes enfants ne sont pas des statistiques : ils ne répondront pas au cliché du noir, bon à amuser ou perturber la galerie. Je ne les laisse pas les définir. Je sais mieux qu’eux qui sont mes enfants. Ce qu’ils sont capables d’être ou de faire. Ils ont de grandes capacités, nécessitant simplement un contexte valorisant. Comment créer ce contexte, quand on peut accéder à ce fabuleux métier d’enseignant, sans être passioné. Sans que ce soit une vocation. Sans qu’une pédagogie adaptée soit enseignée aux enfants.
Enseignement et pédagogie valorisante
Fort heureusement, je ne peux pas faire de plusieurs cas, une généralité. Je sais qu’il existe des enseignants qui se lèvent avec une conscience professionnelle et une envie de marquer positivement la vie des leurs élèves. Ces mêmes enseignants mesurent l’impact qu’ils peuvent avoir sur ces futurs adultes, préparés au salariat et non à l’entrepreneuriat. Ils souhaitent se regarder dans le miroir avec intégrité. J’en ai connu, j’en connais.
Des enseignants qui savent qu’être pédagogue fait partie de l’instruction. Et que si un élève ne s’intéresse pas à la matière, il y a surement une inefficacité de la pédagogie. Au même titre qu’il n’y a pas de mauvais employés, mais des patrons dans l’incapacité à rendre attractif le “bien faire”, car l’épanouissement est de seconde zone. Chacun son rôle. Pas de patron sans employés. Pas d’enseignants sans élèves. Remettre l’humain au centre. C’est ce en quoi je crois.
Alors oui, l‘entrepreneuriat est une voie risquée, soit, mais tellement apprenante et formatrice. Et même si elle n’est pas pour toutes et tous, c’est celle que je privilégierai pour mes enfants. Car ils se comportent déjà comme tels.
Eduquer pour responsabiliser
J’ai découvert que pour certains, être enseignant pouvait être pour certains un job alimentaire. Je pourvois à l’éducation de mes enfants : c’est mon rôle et leur rôle est de pourvoir à leur instruction. Alors je veille, pour que mes enfants aient le droit de penser et de rêver grand. Pour qu’ils aient le droit de réaliser leur rêve et prétendre à ce en quoi ils se sentent capables. Je ne laisserai personne tuer leur rêves. Car les mots sont aussi des armes, qui ne laissent pas de marques visibles. Mais des bleus à l’âme , parfois indélébile. Je les élève avec une fervente volonté qu’ils apprennent à se connaitre pour que personne n’ait à le faire pour eux. En leurs apprenant à choisir leurs amis, parmi les meilleurs, dans le respect de qui ils sont. Je leurs apprends leur histoire, leur héritage, tout en les invitant à la réflexion.
Car ils participeront à construire le monde de demain. Pour cela, ils doivent savoir d’où ils viennent, pour savoir où ils veulent aller. Je leurs enseigne que leurs vies comptent, et que le respect va dans les deux sens. En leurs répétant qu’ils sont importants, qu’ils sont forts et que leurs histoire n’a pas commencé avec l’esclavage. Je leurs explique que ce sont des descendants de rois et de reines. Qu’ils ont une beauté d’âme luxuriante et lumineuse, comme le noir de leur peau, quoiqu’on leurs disent. Ils peuvent tout réussir s’ils le veulent vraiment.
Black lives Matter / éveillez-vous !
Je travaille à toucher le monde, comme rêvait de le faire George Floyd et tant d’autre. Je travaille à impacter positivement ce monde. En offrant au monde tout ce qui me caractérise. Je m’autorise à incarner ma beauté d’âme, ma posture de leader. Car j’aimerai que le monde soit mon pays, qui m’inspire mon souffle de vie. je veux respirer la liberté de vivre, telle que je l’entends. Là est ma responsabilité.
Je veux que mes enfants, nos enfants bénéficient de ce même droit d’être plus qu’une couleur de peau. Sans être catalogués, animalisé, destinés à ne faire que rire l’auditoire. Car si je ne dénonce pas ces faits, ils seront obligés eux de le faire. Mon rôle est d’éveiller les conscience, dans l’intérêt commun. Pour plus d’équilibre dans cette société. En prenant position dans ce contexte inédit et ces circonstances aggravantes. Etre citoyen du monde, c’est avoir des droits actes et des devoirs actés.
Le racisme existe : Soigner (soi-nier) non, guérir (gai-rire) oui
En définitive, nous devons cesser de faire comme ci ces actes ne nous concernaient pas, comme si cela n’existait pas. Détourner le regard revient à dire “oui, j’accepte”. Accepter les blagues ou les réflexions douteuses, telles quelles soient, revient à dire “oui, j’accepte”.
J’invite à réfléchir, ceux/celles qui pensent que l’on se victimise, simplement lorsque l’on évoque le passif douloureux et valeureux de nos ancêtres. Ou lorsque l’on évoque l’impact réel inter-générationnel, sur nos vies, celles de nos enfants et l’insécurité ambiante que l’on peut vivre, selon l’endroit où l’on est. Avec quoi n’êtes vous pas à l’aise? La méconnaissance de l’étranger qui est en vous? Ou le poids du déni de l’histoire d’une dette non soldée ?
Reconnaissance vs ignorance
Reconnaitre est pourtant nécessaire pour transmuter les mémoires douloureuses. Ce que nous n’aurons pas soldé à notre niveau, nos descendants devront le gérer pour nous. Avons -nous envie qu’ils portent cet héritage?
La vérité est que je porte en moi l’héritage des 2 histoires. Je ne peux donc pas renier une part de moi et la haïr. J’apprends à les aimer l’une comme l’autre, chaque jour un peu plus. Je le vis haut en couleur mon monde, alors ne m’obligez pas à choisir.
La réalité est que nous sommes tous autant fatigués de ressentir que nous ne sommes pas assez ou de trop. C’est lunaire..
N’attendons pas que les gouttes d’ émotions négatives submergent l’inconscient collectif et libèrent des siècles de frustrations, en un tsunami de révolte, de ressentiment.
La vie des noir(e)s compte et tout le monde a le droit d’exister librement, de respirer librement, de penser librement, dans le respect de l’Autre. Je veux le respect pour toutes et tous, dans son intégralité, sa différence, son authenticité. C’est notre droit le plus stricte, et j’entends bien le faire valoir. Je sais ce que je vaux et à la question ” tu te prends pour qui?”. Je sais répondre: “Pour qui je suis!”
Pour finir, ce texte n’est pas contre les blancs, il est contre l’ignorance qui engendre les peurs, d’où naissent le racisme et d’autres dérives. Nous devons réfléchir à changer la donne, pour proposer un futur où un humain ne sera pas définit par sa couleur de peau. Son orientation sexuelle, sa religion, sa culture. Cela ne peut plus durer.
J’invite à une réflexion. je ne suis pas que noire, mais vous, qui n’êtes pas noir(e):
Accepteriez- vous que vous, vos enfants, vos proches soient traité(s) comme les noir(e)s le sont?
2 comments
Bravo !! Je trouve votre récit plein de vérités que les gens ne veulent pas entendre . Dénoncer comme vous le faite c est aussi se marginaliser parfois parceque la vérité gêne le confort et le quotidien d autrui . Alors je vous félicite . Et cela me fais du bien de constater que nous sommes plusieurs voir et à parler .
Merci pour votre retour, Elodie. Nous commençons à être nombreux.ses sur cette planète 😉